René Crevel, L'Esprit contre la Raison


(Les Feuilles libres, n° 44, nov.-déc. 1926.)

CHANGER D’ETOILE
par Marcelle Auclair

 

Changer d’étoile, changer d’astre. Un regard doucement éclairait le monde, un Chili discret et pieux, mais soudain la lumière s’est durcie et il a fallu essayer d’oublier, de changer. Voyage circulaire, tour du monde, l’héroïne de Marcelle Auclair, après des fiançailles rompues, quitte sa ville natale : Santiago la dormante, la toute ensoleillée, Santiago clair damier. Mais elle a beau aimer les départs, et l’écume sur le pont du bateau qui la mène en Suède, elle a beau voir ce Valparaiso dont rêvent les marins dans la plus émouvante des chansons (Yvonne George chantait cette chanson, le dernier automne au Moulin Rouge, et le seul nom de Valparaiso trouait le cauchemar de chairs bouffies, de plumes prétentieuses, de strass clinquant, dont on nous avait accablés sous prétexte de revue à grand spectacle), elle a beau voir Rio-de-Janeiro, Paris, la Madeleine, le Boulevard Raspail, une seule étoile continue de briller qui a nom Miguel. Amour, équateur du monde, que de tristesse dans cette invitation au voyage. Une pudeur décide la conteuse à regarder yeux grands ouverts, à respirer narines frémissantes. Mais qu’elle s’éprenne de marronniers ou bien se grise d’un doux parfum de terre mouillée de douceur humide, derrière la transparence des jours et des soirs parisiens, se dessine encore la présence du fiancé quitté. Elle boucle la boucle. Looping the loop, voilà bien l’équateur dont je parlais, l’équateur en plein ciel gris, miracle éclatant sur le coton des nuages.

Il sourit par ma bouche , dit-elle dès la première ligne même, puisqu’elle sert de titre au premier chapitre. L’homme sourit par la bouche de la femme. La femme a vu par les yeux de l’homme. Transsubstantiation de l’amour, et la rupture, la fuite lorsque le miracle ne s’est pas continué. Toujours demeure la hantise, le regret et l’espoir d’un recommencement. Une jeune fille courageuse et triste se promène par le monde, veut changer d’astre mais au fond ne demande qu’à n’en trouver point de nouveau. L’émotion discrète de ce petit livre, au second plan, derrière les plus sensibles des tableaux, brûle, lampe fidèle et qui touche nos yeux jusqu’aux larmes.

René CREVEL.

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