René Crevel, L'Esprit contre la Raison


(Les Feuilles libres, n° 41, octobre-novembre 1925 - Détours, Pauvert, 1985.)

ARIANE

par C. Ribemont-Dessaignes (Kra, éditeur)

" Ariane ne connaissait la volupté amoureuse qu’au sein des parures et de se vêtir quelque peu se mettait à rougir. "

Ribemont-Dessaignes a rencontré cette femme qui ne s’habille que pour l’amour, sous un réverbère, un jour où fleurissaient en plein ciel d’étranges constellations, Ariane nue par les rues, nue dans les églises où elle trouble une messe de mariage, où elle va raconter des rêves au brave abbé Philippe qui, l’absolution donnée, ne peut en croire ses yeux lorsqu’il voit sortir du confessionnal une pénitente qui montre de soi tout ce qu’elle peut, Ariane qui déchaîne la révolution dans l’autobus Madeleine-Bastille et s’évanouit, disparaît, se dissipe, la foule ne sait comment, dès que le sergent de ville pudique la cache sous sa pèlerine, Ariane épouse morganatique du conteur, taillée à même le marbre charnel du songe, quelle est cette créature qui est aussi peu couverte de symbole que d’étoffe ?

Récit gratuit, un conteur nous oblige à suivre une poupée humaine dans le plus simple appareil, une poupée dépouillée de tous artifices vestimentaire et psychologique et qui est dans sa peau comme l’oeuf dans sa coquille. Elle ne signifie rien, et cependant elle est. Je la vois, l’épiderme bien tendu sur son squelette. Je suis sûr qu’elle a des talons hauts, mais des talons hauts de chair, des talons qui continuent son corps, en font partie, la dénudent davantage encore. Elle ressemble à ces fées roses qui se meuvent parmi les objets et les mystères quotidiens dans les tableaux de Max Ernst. Elle est suffisante, totale et jamais personne, sauf Ribemont-Dessaignes, ne saura par où la prendre pour en user, en parler.

 

Ariane, on aurait pu vous appeler la vérité, mais la vérité ne fait pas l’amour. Et puis Ribemont-Dessaignes nous dit qu’un orang-outang vous ouvre comme une valise. Stupide singe, il s’est donné du mal en vain, car Je parierais que votre corps était fermé du haut en bas par un système Hermès.

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