Tous les articles par Henri Béhar

Henri Béhar est l’un des principaux promoteurs des études lexicales assistées par ordinateur. Il a fondé et dirigé le Centre de recherches Hubert de Phalèse, une équipe de recherche destinée à promouvoir les études littéraires assistées par ordinateur. Dans le domaine culturel, il a mis en avant l’importance de la mise en contexte des textes littéraires. Spécialiste des avant-gardes, Henri Béhar a fourni des études historiques, textuelles ou génétiques sur Dada ou Breton. Il a également fondé et dirige le Centre de recherches sur le surréalisme, qui coordonne les travaux sur ce sujet. En parallèle à ses activités de recherche, Henri Béhar a introduit l’informatique dans les cours prodigués à l’Université, en créant une banque de données d’histoire littéraire utilisable par les étudiants.

« Aventure et Dés », Cahiers Dada Surréalisme, n° 1, 1966.

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Pour situer cet article, il faut savoir que l’étude des revues, et singulièrement des « petites revues » ou revues éphémères, ne figurait pas au programme des chercheurs en littérature française. Cependant, Michel Décaudin avait constitué un groupe de recherche, à l’intérieur de l’équipe Apollinaire, pour mettre au point la méthodologie de ce nouveau chantier. Ayant eu à travailler sur la revue Aventure au cours de mes recherches sur Roger Vitrac, l’idée de constituer un modèle à partir de deux revues quasiment inaccessibles s’imposait à moi.

Précisons que les revues Aventure et Dés ont fait l’objet d’un reprint aux éditions J-M. Place dans les années 70. Cette édition est aujourd’hui tout aussi inaccessible que les originales.

C’est la principale raison pour laquelle ce travail a été repris dans : Henri Béhar, Histoire des faits littéraires, Paris, Classiques Garnier, 2022, pp.149-159.

Voir le texte d’Aventure et Dés en accès libre sur Wikisource : https://fr.wikisource.org/wiki/Aventure_(revue)

https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9s

Le freudo-marxisme des surréalistes », Mélusine, n° XIII, 1992, pp. 173-191.

Ne revenant pas sur l’abondante littérature critique concernant les rapports du surréalisme avec la psychanalyse, je souhaitais aborder dans cette livraison de Mélusine, de manière concrète, la relation intime de chaque surréaliste, pris individuellement, avec le psychanalyste de son choix. Mon projet venait certainement trop tôt. On verra, dans l’ensemble des contributions répondant à mon appel, une approche individuelle fort stimulante et variée.

Quant à moi, je tentais d’aborder une période précise, celle où les surréalistes, loin de la doctrine imposée en URSS, s’efforçaient, à l’exemple de Tristan Tzara, d’intégrer la démarche des freudo-marxistes connus en France à leur création.

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Voir le résumé et le prolongement qu’en donne Wikipédia :

Surréalisme et freudo-marxisme

D’après Henri Béhar, c’est lors de l’accession au pouvoir d’Hitler en janvier 1933 que les surréalistes parisiens, attachés au matérialisme dialectique, découvrent la pensée freudo-marxiste14.

C’est surtout André Breton, lecteur de Marx, Freud, mais aussi Hegel, Fichte, Feuerbach, Nietzsche, qui puise dans la philosophie des idées lui permettant de faire dialoguer les discours poétique et politique d’une manière originale, réactualisant la philosophie romantique, dans une invention toujours recommencée d’une philosophie de l’amour et de la révolution. Cherchant à démontrer que le monde réel et le monde du rêve ne font qu’un, Breton examine les différentes théories qui ont proposé une interprétation du rêve, en s’arrêtant longuement à celle de Freud, dans une perspective franchement révolutionnaire, qui doit beaucoup à Marx, notamment dans son essa  Les Vases communicants (1932)15. Dans sa visée d’un art révolutionnaire et d’une libération totale de l’homme, il associe les deux mots d’ordre « transformer le monde » (Marx) et « changer la vie » (Rimbaud), l’unité du rêve et du réel passant par une profonde transformation sociale. Toutefois, il n’y a pas une « philosophie du surréalisme », selon le terme de Ferdinand Alquié, mais bien les philosophies d’André Breton, oscillant entre un discours systématique et un bricolage idéologique plus aventureux, allant successivement de l’idéalisme absolu à la dialectique des années 1930, du freudo-marxisme à la philosophie de la nature.

1. Emmanuel Rubio, Les Philosophies d’André Breton (1924-1941), L’Âge d’Homme, coll. « Bibliothèque Mélusine », 2009, en particulier le chapitre intitulé « Les vases communicants : la constitution d’un système freudo-marxiste ? (1932) ».

« La correspondance entre les activistes hongrois et Tzara ; 1920-1932 », en collaboration avec Georges Baal ; Actes du Colloque sur les relations culturelles franco-hongroises des années 1920 à nos jours organisé à Paris du 2 au 4 Février 1989. Cahiers d’Études hongroises, n° 2, Paris, 1990, pp. 117-133.

Table des matières :

Béla Köpeczi : Culture française, culture hongroise au XXe siècle 1

János Szávai : Le temps des francs-tireurs (Rapports littéraires franco-hongrois entre 1920 et 1940)7

József Herman : Sándor Eckhardt grammairien 15 Ottó Süpek : Un lieu de rencontre privilégié: le Collège Eötvös 21 Claude Schkolnyk-Glangeaud : Les échanges culturels dans les milieux sympathisants communistes hongrois en France de 1936 à 1946 27

Paul Gradvohl : 1947/1949: le “tournant” vécu par deux partis communistes 35

Jean Perrot : Antoine Meillet et la langue hongroise 57

Piroska Sebe-Madácsy : Kosztolányi et sa controverse avec Antoine Meillet 63

Xavier Richet : La pensée économique hongroise et sa diffusion dans les universités françaises 71

Miklós Magyar : L’absurde et le grotesque chez Samuel Beckett et István Örkény 81 Nóra Aradi : Initiatives de l’Ecole de Paris – Interprétations hongroises 91

Mária Nyéki : Kodály et la France 97 Péter Nagy : Árpád Horváth et le théâtre français 107 Kate Galligan-Cserépfalvi : Nagyvilág (1946-1948) 113

Georges Baal et Henri Béhar : La correspondance entre les activistes hongrois et Tzara – 1920-1932 117

Georges Kassai : Attila József et la France 135 Ana Maria Covrig : Le rôle de la revue Periszkóp 141

Géza Nagy : L’image de la révolution française dans la Hongrie officielle du millénaire 147 György Hazai : Le rôle du livre scientifique dans les relations culturelles franco-hongroises 155

Georges Diener : Histoire des relations culturelles franco-hongroises 163

Ignác Romsics : Les relations culturelles franco-hongroises et l’Institut Hongrois de Paris entre les deux guerres mondiales 179

Pál Berényi : Les relations culturelles franco-hongroises après 1945 et l’Institut Hongrois de Paris 191

Béla Köpeczi : Allocution de clôture 199

Ce numéro de revue se trouve numérisé ici :
Cahiers d’etudes hongroises – 2. (1990.) (oszk.hu)

et là : http://real-eod.mtak.hu/1786/1/1990_02.pdf

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Prolongements :

Tristan Tzara et les Hongrois

http://www.palamart.hu/hu/publikaciok/en-francais/57-tristan-tzara-et-les-hongrois.html

Il est clair que nous n’avons pas eu l’espace nécessaire pour publier les réponses de Tristan Tzara si la totalité de ces échanges épistolaires. Malheureusement, Georges Baal (1938- 2013) est décédé avant d’avoir pu achever le travail auquel il s’était attaché avec enthousiasme.

Nous souhaitons que les chercheurs intéressés par cette intervention et par la collaboration de ces avant-gardistes reprennent le dossier et le donnent à lire intégralement. Il serait particulièrement utile de faire état de la correspondance ultérieure (mentionnée dans le présent article) de Tzara avec Kassak après sa visite à Budapest en 1956, soit quelques jours avant la révolution hongroise.

Voir : Mélusine, n° XV, 1995, Ombre portée, Le surréalisme en Hongrie, dossier coordonné par Georges Baal et Marc Martin.

Voir : « Les amis roumains de Tristan Tzara », Manuscriptum, (Bucarest), 1981, n° 2, pp. 156-166, n° 3, pp. 131-145, n° 4, pp. 168-182 ; 1 982 n°1 pp. 160-165, n° 2 pp. 160-166.

L’interview de HB : https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/?p=949.

« L’Europe surréaliste ou la crise de la conscience européenne au XXe siècle », Mélusine, n° XIV, 1994, pp. 9-21 (avec Pascaline Mourier-Casile).

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Voir : Michel Trebitsch, L’Europe surréaliste, Vingtième Siècle. Revue d’histoire 1993/2 (n° 38), pages 108 à 110. https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-1993-2-page-108.htm?contenu=resume

Voir les expositions concernant la peinture et la photographie surréalistes européens.

Prolongements:

Le Surréalisme dans l’Europe de l’entre-deux-guerres. … DFK Paris

https://www.dfk-paris.org

11 mars 2016 — Le workshop propose une réévaluation du surréalisme au prisme de l’Europe, s’intéressant particulièrement à la façon dont cette avant-garde.

Europeana : https://www.europeana.eu/fr/collections/topic/108-surrealism

« Prolem sine matre creatam ou La Fille née sans mère à l’ère de la reproduction industrielle », Revue de philologie, Université de Belgrade, n° XXXIX, 2012, 2, p. 9-16.

Programme du colloque : Conférence: Table ronde: “Hybridation des genres dans l’avant-garde europénne” : Nadrealizam

Hybridation des genres dans l’avant-garde européenne

Participants: Henri Béhar, Jelena Novaković, Annie Urbanik, Françoise Py, Bojan Jović, Predrag Todorović, Dina Mantcheva

Projet de coopération bilatérale: CNRS (Paris) – Institut de littérature et des arts (Belgrade)  

Institut français en Serbie, Zmaj Jovina 11, Belgrade
le 19 octobre 2012. (10.00-13.30 h)

Programme

Henri Béhar, Université Paris III : « Prolem sine matre creatam ou La Fille née sans mère à l’ère de la reproduction industrielle »

Jelena Novaković, Université de Belgrade, Faculté de Philologie : «Hybridation des genres dans le surréalisme : Sans mesure de Marko Ristić »   

Annie Urbanik – Rizk, Lycée Auguste Blanqui, Saint-Ouen : « Écriture et photographie dans la Nadja de Breton : aux limites de l’indicible ou de la traversée des apparences ? »

Franęoise Py, Université Paris VIII : « Hybridation des genres dans le surréalisme, de la transgression à l’effacement » 

Bojan Jović, Institut de littérature et des arts, Belgrade : « La “chaplinade” comme un prototype du genre hybride de l’avant-garde » 

Predrag Todorović, Institut de littérature et des arts, Belgrade : « Le dadaïsme serbe dans le contexte de l’avant-garde européenne »

Dina Mantcheva, Université « Saint-Clément d’Ohride », Sofia : « La forme hybride du drame symboliste à l’origine du théâtre de l’avant-garde ».

Les participants: Henri Béhar, Jelena Novaković, Annie Urbanik, Franęoise Py, Bojan Joviić, Predrag Todorović, Dina Mantcheva.

F. Picabia. La Fille née sans mère. Centre G. Pompidou

Francis Picabia : La Fille née sans mère (Centre Pompidou)

Voilà la fille née sans mère – Centre Pompidou

F. Picabia. Musée d’Orsay

https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/fille-nee-sans-mere-dessin-de-francis-picabia-136472

Musée d’Orsay, Alfred Stieglitz, “Fille née sans mère”, dessin de Francis Picabia.

Table ronde de Belgrade, le 19 octobre 2012.

Titre : « Prolem sine matre creatam ou La Fille née sans mère à l’ère de la reproduction industrielle » par Henri Béhar.

Résumé

Il y a bon nombre d’années, suffisamment pour avoir le recul nécessaire au chercheur, nous avons créé une banque de données d’histoire littéraire (BDHL) qui avait cette originalité de formaliser la notion de genre par un tri croisé s’exerçant à plusieurs niveaux. S’il est intéressant de montrer comment les genres ont évolué au cours des siècles., il l’est encore plus, pour ce qui concerne notre programme de coopération, d’analyser les transformations et variations de genres dans le mouvement surréaliste (en langue française). On montre ici comment le refus des genres pour les uns, l’indétermination générique pour les autres, résulte effectivement d’un croisement, d’une hybridation des catégories plus traditionnelles, pour aboutir à de nouvelles variétés.

Résumé long

J’utilise ici les données fournies par la Banque de données d’histoire littéraire (BDHL) créée, à mon initiative, en 1985. On y propose un système des genres articulé sur trois niveaux plus un (le genre indiqué sur l’ouvrage).

Le premier niveau du système des genres distingue : vers, prose, mixte, autre, indéfini.

Le deuxième niveau distingue entre : fiction, idées, discours intime, théâtre, poésie, indéfini.

Au niveau 3, on entre dans le détail des catégories précédentes.

Le titre de cet article se réfère à la plaquette de Francis Picabia, La fille née sans mère,qui fait appel à une formule latine placée par Montesquieu en tête de son Esprit des lois, pour marquer qu’il n’avait pas eu de modèle. Le recueil compte 18 dessins mécaniques et 51 poèmes.

Prenons l’exemple d’une double page du recueil, juxtaposant poème et dessin. Nos analyses peuvent s’étendre à tout le corpus dada-surréaliste. Le problème est que ce sont la plupart du temps des raretés bibliophiliques, de sorte que la critique se sert des œuvres complètes de Picabia, Tzara, Ribemont-Dessaignes, qui suppriment les illustrations, ce qui déplace la nature des observations.

Si de telles œuvres d’avant-garde peuvent entrer dans cette classification, c’est qu’elles répondent à des traits génériques identifiables (prose, vers, fiction, lyrique, dramatique…) en dépit du refus des genres par le mouvement qui les porte. Si dépérissement des genres il y a, il convient de retenir l’avènement de genres nouveaux, repérables, je l’ai dit, au-delà des tris croisés, par le sous titre ou le paratexte. Ainsi Grains et issues queTzara qualifie de« rêve expérimental », ouvrage alternant poèmes et notes critiques jusqu’à les faire se rejoindre, pour la plus grande confusion du lecteur.

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Prolongement :

https://www.paris-art.com/poemes-et-dessins-de-la-fille-nee-sans-mere-topographie-de-l-art/

ART | EXPO COLLECTIVE

Poèmes et dessins de la fille née sans mère : 19 Mai – 24 Juil 2021

L’exposition «Poèmes et dessins de la fille née sans mère» se veut résolument surréaliste. Les douze artistes réunis se prennent au jeu d’un cadavre exquis, avec pour point de départ l’œuvre du dadaïste Francis Picabia: à ses créations picturales et poétiques d’hier répondent aujourd’hui un ensemble de dessins et d’aquarelles, de peintures et de sculptures, de collages et d’installations. La Topographie de l’art accueille ainsi une exposition collective en forme de conversation artistique entre les débuts des XXe  et  du XXIe siècles.

«Poèmes et dessins de la fille née sans mère» : une conversation entamée par Francis Picabia

Le titre de l’exposition «La Fille née sans mère» reprend ceux de plusieurs peintures ainsi que celui d’un recueil de dessins et de poèmes créés en 1918 par Francis Picabia. Les peintures ont été réalisées en 1916 au moment où Picabia découvrait aux États-Unis l’omniprésence de la mécanisation industrielle. Elles représentent les rouages d’une machine à vapeur. Le titre, qui fait aussi référence à la naissance d’Eve issue du corps d’Adam, est une métaphore ironique d’une création sans conception. L’œuvre de Francis Picabia combine ainsi observation de la société moderne et considérations sur la production artistique.

Poèmes et dessins de la fille née sans mère : un dialogue séculaire

Dans l’exposition de la Topologie de l’art «Poèmes et dessins de la fille née sans mère», douze artistes rebondissent à leur manière sur les créations de Francis Picabia, en particulier sur les différentes versions de cette fille née sans mère. Dans son œuvre Paroles (2020), Horst Haack rend hommage au « frère du père de Dada » en reprenant une phrase écrite en 1915 par Picabia dans un article du New York Tribune  : « La machine est devenue plus qu’un simple instrument de la vie humaine. Elle est réellement une part de la vie humaine. Je me suis approprié la mécanique du monde moderne et je l’ai introduite dans mon atelier ». 

Chloé Julien,  quant à elle,  interroge la procréation dans sa série de collages « Jeune fille sans mère » (2013), dont les œuvres entremêlent des corps féminins morcelés jusqu’à devenir méconnaissables. Son collage Machine à vie (2018) est un agglutinement de bouches, de mains et de seins de femmes. Les œuvres de Saadi Souami, Clarisse Hanh, Glenda Leon et des autres artistes exposés à la Topographie de l’art, répondent encore différemment aux problématiques soulevées par Francis Picabia. Un dialogue très riche en découle, un siècle après.

« Le Mexique revisité », Mélusine n° XIX, 1999, pp. 9-21.

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Lire : les œuvres poétiques d’Octavio Paz…

Échos, Prolongements :

Lire: Jeu de paume, 2012 : https://archive-magazine.jeudepaume.org/2012/10/olivia-speer-le-voyage-initiatique-des-surrealistes-au-mexique/index.html

Exposition au Grand Palais (Paris, 2017 :

https://www.grandpalais.fr/fr/article/le-mexique-miroir-magnetique-du-surrealisme

Dans les années 1940, Mexico devient une destination privilégiée pour les artistes européens cherchant à fuir les persécutions politiques qui frappent alors l’Europe.

La plupart d’entre eux vont y rester durant la Seconde Guerre mondiale : Wolfgang Paalen, Alice Rahon, Eva Sulzer, Kati et José Horna, Juan Larrea, Benjamin Péret, Remedios Varo, Leonora Carrington, Luis Buñuel… Le berceau des civilisations préhispaniques devient une patrie mythique pour les surréalistes qui se sont rendus là dans l’espoir d’une révélation. Pourtant, les Mexicains ne constitueront pas un véritable groupe surréaliste.

L’attrait exotique du Mexique et les perspectives artistiques qu’offre le pays n’échappent pas à Antonin Artaud et André Breton lors de leur séjour à Mexico quelques années auparavant. Ils y trouvent un lieu propice à la poursuite de l’œuvre surréaliste. En 1940, l’Exposition internationale du surréalisme est organisée à la galerie d’Art mexicain : des œuvres des surréalistes européens côtoient des pièces préhispaniques et des œuvres d’artistes mexicains de l’époque, composant, selon certains spécialistes, un ensemble trop hétérogène pour être cohérent. Ce mélange de valeurs esthétiques constitue cependant une source d’inspiration pour les artistes, qui n’hésitent pas à hybrider les concepts originaux et à y incorporer des éléments d’art précolombien et de cultures d’autres latitudes. Hybridation qui les fait converger vers le langage surréaliste, mais réinterprété selon leur propre culture mexicaine. 

Le surréalisme déplacé (2020) : https://journals.openedition.org/hommesmigrations/11081?lang=es

Résumé : Les ruptures de la Seconde Guerre mondiale et les bouleversements politiques de la deuxième moitié du XXe siècle ont conduit des artistes européens, par des voies et pour des motifs différents, à s’exiler au Mexique. De Benjamin Péret à Leonora Carrington, en passant par Luis Buñuel ou César Moro, ils ont pour point commun des liens personnels et esthétiques avec le mouvement surréaliste. L’étude de leurs créations et de leurs correspondances permet de dégager la constellation d’artistes d’un « surréalisme déplacé » qui renouvelle ses formes et ses sujets à travers la déchirure de l’exil.

Voir Las Pozas, le jardin d’Edward James : https://www.vanityfair.fr/savoir-vivre/lifestyle/story/las-pozas-le-jardin-surrealiste-perdu-dans-la-jungle-mexicaine/11604

Je m’abstiens de citer tous les textes relatifs à Frida Kahlo, ainsi que les expositions et les films auxquels elle a donné lieu…

« Spécificité du discours romanesque chez René Crevel », Mélusine, n° XXII, 2002, pp. 99-113.

Ce 22e volume de Mélusine publiait les actes du colloque organisé à Bordeaux par Jean-Michel Devesa : René Crevel ou l’esprit contre la rais Bordeaux, 21 au 23 novembre 2000.

René Crevel (1900-1935) a traversé l’existence en révolté. Celui sans qui ” il eût manqué une de ses plus belles volutes au surréalisme ” apparaît souvent comme un irrégulier du mouvement fondé et animé par André Breton : ses romans et son amour affiché des garçons, ses amitiés et ses fréquentations, son appétit de vie et ses frasques ont en effet donné à penser que Crevel n’avait été surréaliste que par raccroc ou de loin. La lecture attentive de ses livres, celle de sa correspondance, l’étude de son parcours personnel, l’analyse de ses interventions et de ses engagements montrent au contraire une permanence : malgré la souffrance infligée par la maladie et les vicissitudes du temps, René Crevel n’a jamais cessé de poursuivre le même idéal d’amour, de poésie et de liberté. Sans dissiper la légende, une meilleure connaissance de sa production littéraire est désormais de nature à établir l’importance de sa participation au surréalisme : à l’origine de ” la période des sommeils “, René Crevel est aussi celui qui, le premier, a compris la peinture de Salvador Dali et l’intérêt de sa méthode paranoïa-critique ; il est en outre l’un des surréalistes qui a abordé la psychanalyse avec le plus de profondeur. L’auteur de Mon Corps et moi, La Mort difficile, Babylone, Êtes-vous fou ? et du Clavecin de Diderot, pour ne citer que quelques-unes de ses œuvres majeures, n’était pas seulement un ” être frémissant ” (Philippe Soupault). Cet auteur attachant, qui ” n’avait pas tous les défauts, […] mais toutes les qualités, même la beauté ” (Paul Eluard), est en route pour la reconnaissance. Il le mérite car ses éclats de voix n’ont pas fini de retentir dans le monde qui est le nôtre, ce monde en proie au vertige d’une information et d’une technologie tendant, sous couvert de rationalité et d’efficacité, à nier les prérogatives de l’Esprit. (Jean-Michel DEVESA)

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à ma connaissance, il n’y a pas d’autres textanalyses des œuvres de Crevel.

Ne pas confondre avec  René Crevel (1892-1971) artiste peintre architecte décorateur !

Lire Crevel : https://melusine-surrealisme.fr/site/CrevelMenuTextes.htm

voir aussi sur https://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:Ren%C3%A9_Crevel

J.-M. Devésa : René Crevel et le roman, 2004.

http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Ren%C3%A9_CREVEL-554-1-1-0-1.html

« Figures du chassé-croisé », Mélusine, n° XVII, « Chassé-croisé Tzara-Breton », 1997, p. 9-31.

Cette livraison de Mélusine consignait les actes du colloque organisé sur le même sujet à la Sorbonne à l’occasion du centième anniversaire de chacun des deux poètes.

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Au cours du colloque, les élèves de Monique Sebbag interprétèrent de manière inopiné une partie du Procès Dada. La surprise fut totale et bien venue.

De la même façon, mais cela figurait au programme, le metteur en scène Sylvain Dhomme donna, Le Coeur àgaz de Tzara, dans une salle du Centre Censier, avec les étudiants de l’Université Partis III ; spectacle qu’il reprit peu après en ville, dont rendit compte le journal Libération.

Critique : https://www.liberation.fr/culture/1996/05/24/theatre-grace-a-sylvain-dhomme-redecouverte-a-paris-de-coeur-a-gaz-une-piece-du-roumain-dada-tristan_170831/

THÉÂTRE. Grâce à Sylvain Dhomme, redécouverte à Paris de «Coeur à gaz», une pièce du Roumain Dada Tristan Tzara, dont les personnages (Nez, oeil ou Bouche) oeuvrent avec brio dans l’absurde et le non-sens. Le Dada de Tzara repart bon pied bon oeil. Coeur à gaz, de Tristan Tzara, m.s. Sylvain Dhomme, du 27 au 31 mai, 21 heures, à Confluences, 190, boulevard de Charonne, Paris.

Par Jean-Pierre THIBAUDAT

publié le 24 mai 1996 à 5h13

«COU est au dessus de la scène, NEZ vis-à-vis au-dessus du public.

Tous les autres personnages entrent et sortent ad libitum. Le cœur chauffé au gaz marche lentement, grande circulation», dit énigmatiquement un hurluberlu roumain, sur une scène de la rive droite, en juin 1921.

L’homme a 25 ans, il est arrivé à Paris l’année précédente et parle avec un accent qui surprit ceux qui le connaissaient par ses écrits, il se nomme Tristan Tzara. Il anime ce jour-là une «soirée Dada» et poursuit le prologue de sa pièce Cœur à gaz : «C’est la seule et la plus grande escroquerie du siècle en 3 actes, elle ne portera bonheur qu’aux imbéciles industrialisés qui croient à l’existence des génies. Les interprètes sont priés de donner à cette pièce l’attention due à un chef-d’œuvre de la force de Macbeth et de Chantecler, mais de traiter l’auteur, qui n’est pas un génie, avec peu de respect et de constater le manque de sérieux du texte qui n’apporte aucune nouveauté sur la technique du théâtre.» Les spectateurs sont prévenus. Entrent les interprètes parmi lesquels Soupault, Ribemont-Dessaignes et Aragon. Une partie du public semble avoir quitté la salle dès l’introduction de Tzara.

Une deuxième représentation aura lieu en juillet 1923 au théâtre Michel avec costumes de Sonia Delaunay, acteurs pros et mise en scène. Les surréalistes en herbe vinrent faire le baston. «André Breton, canne en main, menait son escouade. En deux vagues, ils partirent à l’assaut de la scène. Breton cassa un bras à Pierre de Massot, Paul Eluard gifla Tzara et Crevel. Il y eut intervention de la police, interdiction préfectorale de la deuxième représentation, échange de papiers bleus», raconte Sylvain Dhomme. Il n’y était pas, mais c’est tout comme.

Depuis, la pièce végétait en français dans son édition rare illustrée par Max Ernst. Ici et là, certains (Belges, Suédois) s’aventurèrent à la monter, Andy Warhol avec d’autres en fit une lecture à New York. Ces dernières années, on pouvait la dénicher dans les oeuvres complètes de Tzara (Flammarion) dues aux bons soins de Henri Béhar. Or voici que, conjointement, ce dernier publie Coeur à gaz avec d’autres textes en poche dans Dada est tatou tout est dada (GF Flammarion) et que Sylvain Dhomme ressuscite la pièce avec une bande de jeunes acteurs très en verve du groupe XYZ (Chérif Daara, Jean Duprat, Mélanie Elsner, Frédéric Jaubert, Isis Peyrade, Jean-Jacques Verger).

Qui est Sylvain Dhomme? Un touche-à-tout, mais pas à n’importe quoi. Le premier metteur en scène des Chaises de Ionesco au Théâtre de Lancry en 1952 avec, déjà Tsilla Chelton, c’est lui. Du Figaro à Libération (l’autre), un éreintement. Quand la pièce rencontre le succès quatre ans plus tard dans la mise en scène de Jacques Mauclair (qui la joue en tandem avec Chelton), le plus clairvoyant des critiques de l’époque, Jacques Lemarchant, rend hommage à Sylvain Dhomme, «inventeur perspicace et metteur en scène aussi subtil que courageux». Sa présente mise en scène alerte de Cœur à gaz prouve que c’est toujours le cas.

Entre-temps, Dhomme a monté bien des spectacles, élargi son éventail au cinéma (il a signé l’un des sketches des Sept Péchés capitaux, côtoyé Orson Welles et réalisé une tripotée de films pédagogiques), à la télévision (il a filmé remarquablement plusieurs spectacles dont la Leçon de Ionesco que l’on a vu sur Arte), à la radio (auprès de Pierre Schaeffer), etc. Il a aussi écrit un gros ouvrage, la Mise en scène d’Antoine à Brecht, qui se lit comme un roman et mériterait amplement d’être réédité.

Il y a deux ans, à l’école de Robert Cordier, il pilotait un stage pour jeunes acteurs. «Un jour, je leur ai lancé dans les pattes un bout de Coeur à gaz en leur disant, je reviens dans une demi-heure. Je suis revenu: il se passait des quantités de choses.» L’envie de faire un spectacle est venue ainsi.

Et, comme on fête cette année le centenaire de la naissance de Tzara, le spectacle est devenu un moment fort du colloque «Chassé-croisé Tzara-Breton», coorganisé par la Sorbonne nouvelle; Dhomme a pu récolter 5.000 francs, de quoi payer quelques frais, car, dans l’histoire surprenante mais véridique de Cœur à gaz, personne n’est payé, d’autant plus que tout le monde se dépense sans compter. Sylvain Dhomme en tête: «J’ai l’impression de vivre une aventure comme je n’en ai même pas vécu lorsque j’étais jeune metteur en scène.» A la lecture, la pièce (dont les «personnages» se nomment Nez, Bouche, Sourcil, œil, Oreille) semble injouable, ce qui est toujours bon signe. A la scène, Dhomme et ses jeunes acteurs, convaincus de son évidence, la rendent transparente. «Le grand secret est là: la pensée se fait dans la bouche», écrit Tzara dans l’un de ses manifestes, et, dans d’autres, il dit haïr «le bon sens» et vouloir, entre autres réjouissances, «chier en couleurs diverses pour orner le jardin zoologique de l’art de tous les drapeaux des consulats».

La preuve par Coeur à gaz. «Hé, là-bas, l’homme aux plaies mollusques laines chaînes, l’homme aux peines diverses et aux poches, l’homme tarte à la géographie, d’où êtes-vous?», demande Nez. Et, après que Sourcil ait dit: «Une fois par jour nous avortons de nos obscurités», oeil lâchera: «La conversation devient ennuyeuse n’est-ce pas.» Dadaïssime et dinguement d’aujourd’hui. «Elle est charmante votre pièce, mais on n’y comprend rien», précisera Nez, à toutes fins utiles.

Ajoutons que mettre en piste ce texte longtemps après le théâtre de Ionesco laisse à penser que ce dernier a dû lire, dans sa jeunesse, cette pièce de Tzara, Roumain comme lui, avant d’écrire la Leçon ou la Cantatrice chauve. Logiquement, par-delà les ans, la curieuse carrière de Sylvain Dhomme jette un pont entre les deux loustics.

Prolongements :

1. Jean-Pierre Lassalle, « Catalogue Chassé-croisé Dada-surréaliste 1916-1969 », Cahiers d’Occitanie, nouvelle série, n° 50, juin 2012. Voir le compte rendu par Georges Sebbag : https://www.philosophieetsurrealisme.fr/jean-pierre-lassalle-recense-chasse-croise-dada-surrealiste/

Voir :

colloque Cerisy 2016 : Poéésie et politique: https://cerisy-colloques.fr/poesiepolitique-pub2011/

POÉSIE ET POLITIQUE AU XXe SIÈCLE, Henri BÉHAR, Pierre TAMINIAUX (dir.)

Issu des travaux du colloque international organisé à Cerisy-la-Salle en juillet 2010, Poésie et politique au XXe siècle éclaire d’un jour nouveau les rapports de la poésie de langue française aux événements historiques et politiques qui ont traversé et informé ce siècle tragique et tourmenté.
Cernant au plus près le caractère éternel et universel des questions éthiques et philosophiques que l’événement soulève, cet ouvrage offre des perspectives actuelles, détachées des simples circonstances du moment.
Il s’agit de mettre en question une conception traditionnelle de la poésie comme simple expression esthétique et formelle de l’homme et de son langage. À travers l’étude de mouvements modernistes ou d’avant-garde, de dada au surréalisme jusqu’au situationnisme, ressort l’importance déterminante de l’engagement du poète dans la communauté.
Les rapports étroits et complexes de personnalités telles que Tristan Tzara, André Breton, Paul Éluard et Benjamin Péret à l’idée de révolution poétique sont ici considérés comme des cas exemplaires. L’enquête s’étend au parcours de figures singulières, de René Char à Francis Ponge en passant par Aimé Césaire. Tous ont accompagné de manière radicale et existentielle les actions de la résistance à l’occupation nazie ou la lutte des peuples du tiers-monde pour leur indépendance.
Au-delà, on examine l’expression politique de la poésie contemporaine dans la mouvance de mai 68 (comme celle de la revue TXT), celle de Jean-Clarence Lambert et me me les recherches formelles ludiques effectuées par l’Oulipo. Enfin, une place particulière est accordée à la poésie issue des cultures francophones hors de l’hexagone, du Québec à Haïti.

Florian Cunière : ”Tristan Tzara. Pour une poétique de la connaissance (1925-1937)” Thèse, 2023

Résumé par l’auteur :

Cette thèse se propose de revenir sur une période charnière de l’œuvre de Tristan Tzara (1925- 1937) pour mettre en lumière le rôle joué dans son écriture par les savoirs scientifiques. Marqué par une succession de révolutions intellectuelles dans de multiples champs disciplinaires, le premier tiers du XXe siècle est en effet le témoin de nouveaux paradigmes qui entérinent une approche inédite de l’être humain et du cosmos. Désirant s’affranchir de systèmes de pensée (positivistes, rationalistes, capitalistes et ethnocentristes) qu’ils jugent obsolètes, les avant-gardes littéraires et artistiques prennent acte de ces bouleversements philosophiques et scientifiques. Animé par une curiosité sans bornes et influencé par les recherches menées par le groupe surréaliste auquel il se rallie de 1929 à 1935, Tristan Tzara, encore trop souvent considéré sous l’angle du seul mouvement Dada, s’est lui-même emparé de ces problématiques nouvelles, lesquelles ont durablement infléchi son imaginaire et sa pratique artistique. À travers divers modes de réappropriation et d’hybridation tels que le collage, la réécriture ou encore la reprise d’un vocabulaire spécialisé, ses écrits théoriques et poétiques témoignent ainsi de sa volonté d’élaborer une nouvelle méthode de connaissance dans laquelle art, science et politique œuvrent désormais de concert.

« Tristan Tzara historiographe de Dada », Mélusine, n° XI, 1990, pp. 29-40.

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Texte reproduit dans : Henri Béhar, Histoire des faits littéraires, Paris, Classiques Garnier, 2022, pp. 87-99.

Prolongements :

Voir la thèse de Céxile Bargues, Dada après Dada (années 1930-1940) :Cécile Bargues

Résumé

Pour Jean Arp, Kurt Schwitters ou encore Raoul Hausmann, le propre de Dada serait de se survivre en changeant sans cesse de visage. Cette thèse retrace ce qu’il advient du mouvement dans les années 1930 et 1940. Elle s’attache d’abord à montrer son caractère de transformation permanente en s’appuyant sur les œuvres des dadaïstes se considérant toujours comme tels, ce qui est particulièrement le cas de Raoul Hausmann. Dans un deuxième temps, une étude historiographique, et une analyse des expositions, tant en France qu’aux Etats-Unis, viennent préciser les rapports de Dada avec le champ de l’histoire de l’art. Son rejet (en France) et son intégration progressive (aux Etats-Unis) agissent comme un révélateur des présupposés de la discipline. Par un effet miroir, Dada vient servir un questionnement sur les thèmes constitutifs du discours des historiens de l’art de la période étudiée, qu’il s’agisse du nationalisme, ou du modernisme. Ces deux approches sont imbriquées l’une dans l’autre, les dadaïstes assistant, et participant, à l’historicisation du mouvement.

Voir aussi : Agathe Mareuge & Sandro Zanetti, Retour de Dada (après 1945), Dijon,Les presses du réel, 2022, 764 p.

et le commentaire ci-dessous, à propos de Raoul Hausmann :

« Ainsi une Histoire de DADA est permise… »L’historiographie paradoxale des dadaïstes vieillissants, entre production de savoir(s) et mystification persistante Dada soluble dans l’historiographie ?Une Histoire de DADA dévoile le caractère de toute Histoire. L’Histoire n’est que la pseudo-logie qu’un individu se fait de la réalité, rien qu’un mauvais reflet de l’objectivité complexe, dans un mauvais matériau. Ainsi une Histoire de DADA est permise. Elle ne se présente pas plus mal que beaucoup d’œuvres d’hommes célèbres, et il se pourrait qu’à cette occasion elle dévoile une véritable partie de l’histoire. Pas l’histoire des héros, des rois et des dictateurs, mais seulement un côté de notre dégoût devant la stupidité, de notre dégoût de la civilisation, du cacacosmosorganisé. Car ce n’était pas nous qui avions ‘fait’ dada, DADA était une nécessité.1C’est sur ces lignes que s’ouvre l’ouvrage Courrier Dada de Raoul Hausmann paru en 1958, dans lequel le « dadasophe » se livre à une reconstruction complexe de ce que fut Dada, particulièrement Dada Berlin, dont il fut l’un des acteurs principaux aux côtés de Baader, Heartfield et Herzfelde, Grosz, Höch ou Huelsenbeck. Un dadaïste historiographe ? Sur quoi se fonderait donc sa légitimité à écrire une histoire de Dada ? Premièrement, selon Hausmann, toute histoire (à comprendre dans le sens de toute écriture de l’histoire, toute historiographie) est nécessairement subjective : l’Histoire objective n’existe pas – alors pourquoi les dadaïstes n’écriraient-ils pas leur propre récit ? Deuxièmement, Dada n’était pas une affaire privée qui aurait concerné quelques artistes et poètes  ; il en va du rapport au monde, plus précisément d’un dégoût à l’égard de la civilisation occidentale, qui a fait de Dada une nécessité, au point que ses acteurs n’ont été, semble-t-il, que contingents  : à travers eux, par eux s’est fait un moment de l’histoire occiden-tale, une histoire qui n’est pas l’histoire politique, diplomatique, celle des grands 1 Raoul Hausmann, Courrier Dada, Paris 1958, 13. Une version abrégée de l’original allemand Kurier Dada a paru à titre posthume  : Raoul Hausmann, Am Anfang war Dada, Steinbach et Gießen 1992 (1972).https://doi.org/10.1515/9783110569230-023

« Inquisitions : le surrationalisme, la poésie et l’actualité » dans : Anne Roche et Christian Tarting, Des années trente : groupes et ruptures, Ed. du CNRS, 1985, pp. 225-236.

Anne Roche & Christian Tarting, Des années trente, groupes et ruptures : actes du colloque, Paris, 1985, éditions du CNRS, 298 p.

 Chaulet-Achour, Christiane ; Roche, Anne ; Tarter, Christian ; Institut national de la langue française (France). U.R.L. de lexicologie et terminologie littéraires contemporaines ; Centre national de la recherche scientifique (France). Centre régional de publications de Meudon-Bellevue

Je donne ci-dessous le sommaire de cet ouvrage qui consignait les actes d’un colloque organisé à l’Université d’Aix-en-Provence par une antenne, constituée pour la circonstance, de l’unité de recherche « Lexicologie et terminologie littéraires contemporaines » de l’Institut de la langue française (INaLF), que j’étais supposé diriger. En fait, il s’agissait surtout de faire le point sur les études et recherches concernant la presse de gauche dans les années trente du XXe siècle. Pour faire poids, on y avait ajouté une section sur le centenaire de la conquête de l’Algérie…

J’étais alors président de l’université Paris III-Sorbonne nouvelle, et je dois dire que tout s’était organisé sans moi. À tel point que je n’arrivai que l’après midi du deuxième jour du colloque.

Les Actes ont été publiés par les soins d’Anne Roche et de Danielle Bonnot-Lamotte, au titre de notre équipe de recherche, officiellement installée dans les locaux du CNRS à Meudon.

Depuis sa parution, l’ouvrage a fait l’objet d’une version numérique par Numilog. Cet organisme n’a jamais demandé l’autorisation des auteurs pour vendre sa pâle version sur Internet.

Actes du colloque organisé par l’antenne de l’U.R.L. n°. 5
à l’université de Provence I 5-7 mai 1983

Numéro 7 de la collection « Les publications de l’U.R.L. no. 5 :
Lexicologie et Terminologies Littéraires Contemporaines »
Institut National de la Langue française — C.N.R.S.

Textes de : C. Achour — H. Béhar — J.M. Besnier — A. Blum — D. Bonnaud-Lamotte — M. Carassou — V. Couillard — D. Desanti — J.R. Henry — F. Henry-Lorcerie — G. Leroy — F. Marmande — C.

Sommaire : D’OÙ VIENNENT LES IDÉES JUSTES ?
LE DISCOURS DES REVUES DE GAUCHE OUVERTURE(S)
EUROPE : PERSPECTIVES LITTÉRAIRES ET TENSIONS IDEOLOGIQUES Discussion – Après l’exposé d’A. Blum 1933, ANNÉE NORMATIVE ? – (d’après les corpus informatisés de Monde et du SA.S.D.L.R.) 1933 : une année-clé
Monde en 1933
Le S.A.S.D.L.R. en 1933
Lexique et énoncé normatif – Délimitation tentative d’un champ lexical
Difficultés méthodologiques : l’exemple du lexique normatif dans « Monde »
Difficulté théorique : la définition de l’énoncé normatif
Monde : deux normes pour deux référents
Plonger dans le réel et faire sa propre révolution
Une normativité désoriginée et nuancée
La lutte idéologique en retard sur l’histoire ?
Un adieu au passé
Le S.A.S.D.L.R. : énoncé normatif et référents – Une situation d’énonciation différente
Référent 1 : la littérature prolétarienne
Référent 2 : l’écrivain révolutionnaire
Référent 3 : le surréalisme
Référent 4 : la poésie en acte, spécificité de l’année trente-trois Annexe I
Annexe II Discussion ANTIFASCISTES ET PACIFISTES : LE COMITÉ DE VIGILANCE DES INTELLECTUELS ANTIFASCISTES
TÉMOIGNAGE DE M. FRANÇOIS WALTER Intervention de M. François Walter LE CENTENAIRE DE LA CONQUÊTE DE L’ALGÉRIE BRISURE DANS UNE COHÉRENCE DISCURSIVE : Le quadrillage culturel du colonisé Mets… une gastonomie assimilée
Mots… la langue du stéréotype
Merveilleux et métiers… une production culturelle folklorisée Mœurs et magies… l’étiquetage de la spécificité Une littérature sur le qui-vive Un espace géographique signifiant
Un espace social
La violence symbolique LE CENTENAIRE DE LA « CONQUÊTE » DE L’ALGÉRIE – La reconnaissance acrimonieuse de Joseph Desparmet L’ambiguïté est inscrite dans la position même de Desparmet :
Textes de référence LE CENTENAIRE DE LA « CONQUÊTE » DE L’ALGÉRIE – achèvement d’une littérature coloniale de combat Le Centenaire de la conquête de l’Algérie est un phénomène original à bien des égards
Le Centenaire, accomplissement du mouvement « algérianiste »
La stérilisation partielle, par le succès du Centenaire, de la littérature algérianiste, favorise finalement l’émergence de produits littéraires nouveaux, plus révélateurs des mutations de l’Algérie coloniale
Discussion – Après les exposés de C. Achour, S. Rezzoug, A. Raybaud, J.R. Henry et F. Henry-Lorcerie LES DROITES, ÉVOLUTION ET REGROUPEMENTS LA REVUE COMBAT (1936 – 1939) Discussion – Après l’exposé de G. Leroy ARAGON ET DRIEU – quand l’un est le héros du roman de l’autre Rêveuse bourgeoisie
Le fils de personne
Rencontres
Discussion – Après la communication de D. Desanti LES INTELLECTUELS FRANÇAIS – et « l’esprit de Munich » La droite ou les ratés du nationalisme
La gauche ou les infortunes de l’antifascisme
Contradiction mineure : antifascisme et antistalinisme
Contradiction majeure : antifascisme et pacifisme
Discussion – Après la communication de M. Winock A PARTIR DE LA CRITIQUE SOCIALE A PARTIR DE LA CRITIQUE SOCIALE
LA PASSE DE JEAN BERNIER Guerre et polémique
L’amour GEORGES BATAILLE ET LA CRITIQUE SOCIALE – Marxisme et Perversion Discussion – Après les communications de F. Marmande et J.M. Besnier L’EXPÉRIENCE « POLITIQUE » DE COLETTE PEIGNOT Annexe – Un amour de Laure
Notes bibliographiques
Discussion – Après la communication de Catherine Maubon ACÉPHALE OU LA MISE A MORT DU CHEF/DU PÈRE Discussion – Après l’exposé de Carlo Pasi DES GROUPES ET DES RUPTURES INQUISITIONS : le surrationalisme, la poésie et l’actualité Annexe I – Prospectus rédigé par Caillois
Annexe II – Témoignage inédit d’Etiemble (avril 1939) LE GRAND JEU, GROUPE/RUPTURES
BENJAMIN FONDANE – du surréalisme à l’existentialisme
L’INDIVIDU ET LE GROUPE : L’EXEMPLE D’IVAN GOLL Discussion – Après la communication de Silvia Schlenstedt L’HOMME AUX ÂNES – surréalisme, politique et psychanalyse dans les années trente Comité d’Organisation du Colloque
BIBLIOGRAPHIE
Notes Référent 1 : la littérature prolétarienne
Référent 2 : l’écrivain révolutionnaire
Référent 3 : le surréalisme
Référent 4 : la poésie en acte, spécificité de l’année trente-trois Annexe I
Annexe II Discussion ANTIFASCISTES ET PACIFISTES : LE COMITÉ DE VIGILANCE DES INTELLECTUELS ANTIFASCISTES
TÉMOIGNAGE DE M. FRANÇOIS WALTER Intervention de M. François Walter LE CENTENAIRE DE LA CONQUÊTE DE L’ALGÉRIE BRISURE DANS UNE COHÉRENCE DISCURSIVE : Le quadrillage culturel du colonisé Mets… une gastonomie assimilée
Mots… la langue du stéréotype
Merveilleux et métiers… une production culturelle folklorisée Mœurs et magies… l’étiquetage de la spécificité Une littérature sur le qui-vive Un espace géographique signifiant
Un espace social
La violence symbolique LE CENTENAIRE DE LA « CONQUÊTE » DE L’ALGÉRIE – La reconnaissance acrimonieuse de Joseph Desparmet L’ambiguïté est inscrite dans la position même de Desparmet :
Textes de référence LE CENTENAIRE DE LA « CONQUÊTE » DE L’ALGÉRIE – achèvement d’une littérature coloniale de combat Le Centenaire de la conquête de l’Algérie est un phénomène original à bien des égards
Le Centenaire, accomplissement du mouvement « algérianiste »
La stérilisation partielle, par le succès du Centenaire, de la littérature algérianiste, favorise finalement l’émergence de produits littéraires nouveaux, plus révélateurs des mutations de l’Algérie coloniale
Discussion – Après les exposés de C. Achour, S. Rezzoug, A. Raybaud, J.R. Henry et F. Henry-Lorcerie LES DROITES, ÉVOLUTION ET REGROUPEMENTS LA REVUE COMBAT (1936 – 1939) Discussion – Après l’exposé de G. Leroy ARAGON ET DRIEU – quand l’un est le héros du roman de l’autre Rêveuse bourgeoisie
Le fils de personne
Rencontres
Discussion – Après la communication de D. Desanti LES INTELLECTUELS FRANÇAIS – et « l’esprit de Munich »

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Conscient que le lecteur ne pouvait se faire une idée exacte du contenu de cet unique numéro de revue, dans la mesure où il était devenu inaccessible, je n’ai eu de cesse de la faire rééditer, tant pas des éditeurs spécialisés tels que Jean-Michel Place ou les Éditeurs Français Réunis, que par une institution nationale. Huit ans après le colloque, une commission du CNRS a donné son accord pour la publication du volume que je présentais en fac-similé, muni de textes inédits et d’une préface reprenant, bien évidemment, les termes de la présentation et de la discussion d’Aix :

Henri Béhar, Inquisitions. Du surréalisme au Front populaire, CNRS éditions, 1990, 184 p. Tiré à 1.000 exemplaires, il est il est tout aussi épuisé que l’original. Raison pour laquelle je reproduis ici ma préface initiale :

La préface de ce volume a été reprise dans : Henri Béhar, Histoire des faits littéraires, Paris, Classiques Garnier, 2022, pp. 161-176.

Inquisitions, préface

L’unique numéro d’Inquisitions paraît en juin 1936. II a la chance d’avoir été imprimé en dépit des grèves et des occupations d’usines qui ont débuté le 26 mai, avant la constitution du cabinet ministériel présidé par Léon Blum, le 4 juin.

La sortie de la revue eût-elle été retardée pour un tel motif, lequel de ses rédacteurs s’en serait-il plaint ? Aucun, puisqu’ils avaient tous le sentiment profond d’œuvrer pour l’instauration du Front Populaire, de même que les grévistes entendaient conforter la victoire électorale du 5 mai en arrachant aux patrons de sérieuses concessions, De fait, le Ministère Blum n’allait pas chômer : aussitôt après les Accords Matignon (7 juin) il fera voter dans la foulée, les 11 et 12 juin, les lois sur les conventions collectives, les congés payés, la semaine de 40 heures.

C’est une ère nouvelle qui commence. Les collaborateurs d’Inquisitions auraient dû la vivre collectivement, peut-être en orienter le cours. Ils auraient applaudi à la dissolution des ligues factieuses (18 juin) ; discuté âprement de la nature de l’aide que, tout naturellement pour eux, il eût fallu apporter au gouvernement légal de la République Espagnole, lui aussi porté par la victoire d’un autre Front populaire. Bien qu’ils ne fussent guère familiers des théories économiques, le Groupe d’Études pour la Phénoménologie humaine » qu’ils constituaient aurait pu se prononcer sur la réforme de la Banque de France (24 juillet), la dévaluation du franc (27 septembre)…

Pour maintenir leur cohésion, ils n’auraient rien écrit des Procès de Moscou, de l’exécution de Kamenev et de Zinoviev (25 août) mais n’auraient cessé d’y penser, de même que la politique officielle de non intervention en Espagne les fit réagir, individuellement du moins, puisque le groupe s’était dispersé, préfigurant, à sa modeste échelle, ce qui allait advenir du gouvernement issu du Rassemblement populaire, pour employer la terminologie électorale de l’époque.

À supposer qu’ils se fussent limités à des débats plus littéraires, que n’auraient-ils écrit sur Le Retour de I’U.R.S.S. de Gide, Le Journal d’un curé de campagne de Bernanos, Mort à crédit de Céline, Le Sang noir de Louis Guilloux, le Voyage en grande Garabagne de Michaux, La Conscience malheureuse de Fondane, Les Jeunes filles de Montherlant, et Les Beaux quartiers de l’un des leurs, Aragon, qui allait obtenir le Prix Renaudot (le Goncourt allant à L’empreinte de Dieu de Maxence Van der Meersch) ? De fait, ils en ont écrit, mais ailleurs, dans Europe, Commune, la Nouvelle Revue française ou les Cahiers du Sud auxquels je viens de prélever cette liste d’ouvrages parmi les comptes rendus des livraisons de juillet à octobre.

J’évoque un futur improbable, alors que je n’ai encore rien dit du passé et du présent de cette revue dont vous tenez le fac-similé entre les mains. Car elle n’est pas tombée toute seule des presses, pas plus que le gouvernement Blum n’est soudain sorti des urnes ! Pour en arriver à cet immense espoir, il en a fallu des palabres,- des débats et même des combats : que socialistes et communistes se donnent la main Place de la Nation le 12 février 1934, au cri unanime d’« Unité », clamé par la foule ; que soit fondé (5 mars 1934) le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (C.V./.A.) à l’appel de Rivet, Langevin et Alain, en d’autres termes un socialiste, un compagnon de route du Parti communiste, un radical ; que le 14 juillet 1935 soit conclu l’accord entre les trois partis constituant le Front populaire, avec l’appui des organisations syndicales, pour rassembler « toutes les forces résolues à défendre la liberté contre l’atteinte du fascisme ». Et qu’à partir de là soit élaboré un programme électoral, servant de référence aux candidats députés, qui leur permettra de l’emporter dix mois après.

C’est dans ce contexte d’union des forces de gauche qu’il faut voir la naissance, en octobre 1935, du Groupe d’Études pour la Phénoménologie humaine, décidé à étoffer idéologiquement la politique culturelle du Front populaire en faisant se rencontrer des intellectuels d’obédiences diverses, pour sortir des voies toutes tracées, et publier une nouvelle revue/ Inquisitions, dont le titre s’entend au sens de « recherches ». Pourtant, la réflexion des intellectuels dans l’orbite du Front populaire ne saurait se comprendre sans une donnée particulière : les rapports qu’entretenaient les surréalistes avec le Parti communiste auquel cinq d’entre eux (Aragon, Breton, Éluard, Péret, Unik) avaient adhéré, au grand jour, en 1927, et dont les principaux meneurs, André Breton et Paul Éluard, s’étaient trouvés exclus, en 1933, de l’A.E.A.R. (Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, fondée par Paul Vaillant-Couturier en mars 1932).

On sait quel désarroi provoqua, parmi eux, la signature du pacte franco-soviétique du 2 mai 1935, et surtout quelle peine et quelle fureur s’empara d’eux lorsqu’ils furent, de fait, évincés du Congrès International pour la Défense et la Culture, en juin 1935, à la suite d’un incident tout à fait anecdotique (la correction infligée par André Breton à Ilya Ehrenbourg, l’auteur de Vus par un écrivain de I’U.R.S.S., qui traitait les surréalistes d’oisifs et de pervers sexuels). Dans un pamphlet daté d’août 1935, intitulé « Du temps que les surréalistes avaient raison », Breton rappelait les objectifs de son mouvement à l’égard d’une culture ne les intéressant « que dans son “devenir” et ce devenir même nécessite avant tout la transformation de la société par la révolution prolétarienne, Ils demandaient, notamment, que fussent mises à l’ordre du jour du Congrès les questions suivantes : droit de poursuivre, en littérature comme en art, la recherche de nouveaux moyens d’expression, droit pour l’écrivain et l’artiste de continuer à approfondir le problème humain sous toutes ses formes… »1.

En dépit du rôle actif joué par René Crevel (dont le suicide allait les ébranler davantage), tout fut mis en Œuvre pour réduire la portée de leurs déclarations. D’où la formule définitive de Breton à l’égard de la Russie soviétique et de Staline : « Ce régime, ce chef, nous ne pouvons que leur signifier formellement notre défiance »2.

De fait, une grande partie des membres du groupe surréaliste ne pouvaient que rompre les derniers liens qui les retenaient à ce qu’ils avaient toujours considéré comme le seul parti de la classe ouvrière. Pourtant, devant la montée des fascismes, ils se devaient d’exprimer leur position d’intellectuels et d’artistes révolutionnaires ailleurs que dans les luxueuses revues artistiques qui s’offraient à eux, comme Minotaure et Les Cahiers d’Art. De là l’éphémère, ambiguë et contradictoire tentative du groupe Contre-Attaque, animée par Bataille et Breton de l’automne 1935 au printemps 1936. C’est-à-dire jusqu’à sa condamnation par les surréalistes pour ses tendances « surfascistes. Voir Robert Stuart Short : « Contre-attaque », in, Entretiens sur le surréalisme sous la direction de F. Alquié, Paris, Mouton, 1968, p. 144-176 ; José Pierre : Tracts surréalistes, op. cit., p. 281-301 ; Henri Dubief : Témoignage sur Contre-Attaque (1935-1936) in, Textures n° 6, 1970.3Ou encore le groupe que Souvarine rassemblait autour de La Critique sociale (1931-1934) qui, avec des communistes d’opposition, comprenait les ex-surréalistes Jacques Baron, Michel Leiris, Raymond Queneau. À la disparition de cette revue, leur conjonction avec Georges Bataille conduira à la publication d’Acéphale et à son prolongement sous forme du Collège de Sociologie dont on a réuni les textes essentiels4.

De l’autre côté, les surréalistes qui, depuis 1932 pour Aragon et Sadoul, 1935 pour Crevel et Tzara, avaient quitté le mouvement pour rejoindre, de façon plus ou moins inconditionnelle, les positions du P.C. ou plus exactement de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, disposaient de la revue Commune que dirigeait Aragon, et de la tribune que leur offrait l’institution de la Maison de la culture, animée par le même infatigable mentor.

Ce trop bref rappel laisse entendre combien les uns et les autres ne pouvaient se satisfaire de la situation présente tant pour ce qui concernait l’activité du groupe que pour leur expression collective.

D’où l’idée de rassembler les transfuges du surréalisme, les marxistes avérés et les isolés, dans le cadre d’un groupe d’études œuvrant lui-même pour une définition de la culture dans ses rapports au politique.

***

Qu’était le « Groupe d’études pour la phénoménologie humaine » ? Quels étaient ses principes, sa composition, ses objectifs, ses moyens d’action ?

L’initiative est, en effet, originale : elle préfigure le fonctionnement du Collège de Sociologie. Il s’agit, à l’invitation de Tristan Tzara qui accueille ses amis dans sa belle maison de l’avenue Junot ou dans le local de I’A.E.A.R., de rassembler divers jeunes gens, tous les quinze jours, autour d’un conférencier dont l’exposéfera l’objet d’une discussion soigneusement prise en note.

Si l’idée, en l’état actuel de nos informations, en revient à Roger Caillois et à Tzara qui y songent dès octobre 1935, les réunions n’ont lieu qu’à partir du mercredi 8 janvier 1936, pour s’achever le 3 mars suivant.

La première séance est introduite par Tzara, indiquant le programme de l’entreprise, qui se résume en cinq points :

1. mettre en lumière les problèmes intellectuels immédiats ;

2. partir de l’actualité pour examiner les différentes théories en ce qu’elles ont de commun ;

3. trouver le courant d’idées théorique aussi bien qu’affectif susceptible d’intégrer les problèmes que se posent les sciences humaines ;

4. ne pas se limiter à l’aspect littéraire de cette problématique et dégager sur le plan intellectuel, une perspective englobant toutes les sciences au service de l’homme, à l’instar du Front populaire sur le plan politique ;

5.situé socialement, ce groupe refuse le sectarisme doctrinal, il ne se préoccupe pas de tactique mais veut repenser les problèmes dans le cadre de la superstructure idéologique qui est le sien5.

Caillois y présente ensuite son exposé « sur les tâches immédiates de la pensée moderne », intitulé « Pour une orthodoxie militante »6à la discussion duquel prennent part Zdenko Reich, Claude Cahen, Nico Calamaris, Luc Decaunes, Étiemble, Raymond Charmet, André Chastel et René Bertelé.

La séance suivante, le 21 janvier, est l’occasion d’un exposé d’Étiemble sur le Mouvement de « La Nouvelle vie » en Chine, discuté par Georges Sadoul, Jules-M. Monnerot et Tzara.

Quinze jours après, c’est le physicien Jacques Spitz, par ailleurs collaborateur de la NRF comme Étiemble, qui parle « sur la théorie quantique et le problème de la connaissance à qui Caillois et Gistucci font des observations.

Deux semaines après, c’est le tour de Tzara d’exposer sa conception du rôle du « poète dans la société », ce qui suscite une vive discussion à laquelle prennent part Caillois, Pierre Unik, Monnerot, Calamarisi Chastel, Reich et Jean Audard.

Enfin, la dernière séance donne lieu à un exposé de Jean Audard « sur la psychanalyse et le matérialisme historique », qui sera simplement résumé dans la revue (p. 74-75), sans doute parce qu’il ne fait que reprendre une argumentation amplement développée dans la revue belge Documents 36 et dans Les Cahiers du Sud, discuté par Étiemble, Tzara et Sadoul.

Sur la quinzaine de membres que rassemble le Groupe d’études pour la phénoménologie humaine, au cours des séances énumérées, huit ont été ou sont encore surréalistes. Si Caillois s’est séparé d’André Breton par une lettre du 27 décembre 1934 témoignant de son grand souci de rationalité7 et Tzara par une lettre aux Cahiers du Sud de mars 19358 ; si Georges Sadoul et Pierre Unik ont toujours marqué leur fidélité à Aragon et au P.C, il est clair que les autres (Calamaris, qui prendra le pseudonyme de Nicolas Calas, Z. Reich, Monnerot) sont alors des membres actifs du Mouvement.

Certes, leur place sur l’échiquier des groupuscules est mouvante : le premier, qui ne s’est guère affirmé jusqu’alors, ne publiera ses Foyers d’incendie qu’en 1938, le deuxième, venu du Grand Jeu, aux préoccupations mystiques, et collaborateur du S.A.S.D.L.R. publie dans Minotaure, le troisième, cofondateur de Légitime défense en 1932, la première revue des intellectuels noirs, collabora au S.A.S.D.L.R. puis il contribua à la création du Collège de sociologie, (qu’il baptisa) ; mais tous gravitent encore, d’une manière ou d’une autre, autour du surréalisme.

Quant aux restants, dont les noms figurent aux sommaires des revues de l’époque, surtout la NRF et les Cahiers du Sud (Jean Audard, René Bertelé, Raymond Charmet, André Chastel, Luc Decaunes, Étiemble…), sans doute venus aux réunions par amitié pour tel ou tel orateur, tout indique qu’ils sont déjà avertis du débat d’idées suscité par le surréalisme, et des insuffisances que lui reprochent le plus jeune d’entre eux, Caillois, qui n’a que 23 ans, comme le plus vieux, Tzara, qui fait figure d’ancêtre, à 40 ans ! Mais, à l’exception de Luc Decaunes, le tout jeune animateur de Soutes, aucun de ceux-là n’adhère au Parti communiste. N’étaient l’effectif réduit du groupe, et sa brève durée, je dirais qu’il est, somme toute, assez représentatif de la volonté d’union du Front populaire. L’analyse du contenu de sa publication le confirmera.

Après avoir rassemblé quelques camarades et longuement disserté des thèmes d’actualité, il convient de Adonner les moyens de faire connaître ce qui les unit. D’où l’idée de cette revue, Inquisitions, ainsi baptisée par Caillois, qui pense au sens étymologique du terme, enquête, recherche, au pluriel pour éviter toute confusion avec le tribunal ecclésiastique9. Tzara en sera le rédacteur en chef, Monnerot le gérant, et la direction collégialement confiée à Aragon, Caillois, Monnerot et Tzara ; l’administration étant assurée par les Éditions Sociales Internationales (ce qui explique la présence d’Aragon). Caillois rédige le texte d’un bulletin de souscription reprenant les objectifs déclarés par Tzara et soulignant l’originalité de cette revue comme organe d’un groupe d’études (voir ce document p. 113). D’après les manuscrits et dactylographies conservés par Tzara (actuellement déposés la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet), on constate que chaque auteur de communication s’est efforcé de rédiger le résumé des discussions, après échange avec les intervenants.

Pour agir efficacement, la revue devait être bimestrielle mais, prudemment (ou lucidement ?) on annonçait qu’elle paraîtrait « à des intervalles irréguliers », tirée à 2 000 exemplaires, d’après les indications manuscrites de Tzara, qui demande à sa femme, Greta Knutson, de composer la maquette de couverture.

***

La revue se compose de quatre sections : la première, théorique, reprend les exposés ; la seconde contient un extrait du Roman cassé de Crevel, en guise de document phénoménologique sur la vie imaginative contemporaine ; la troisième est formée de notes de lecture et la quatrième reproduit les discussions des communications initiales.

Elle s’ouvre, en outre, sur un article fondateur de Gaston Bachelard. « Le Surrationalisme » (p. 1-6) dont le titre dit bien l’ambition, en écho au surréalisme. Caillois se flatte d’avoir provoqué la collaboration du philosophe après une joyeuse rencontre dans les Vinarny de Prague10. Mais le thème de son intervention a été suggéré à Bachelard par la lecture d’un recueil de Tzara à qui il écrit : « En lisant p. 271 Grains et Issues, j’ai pensé à une nouvelle doctrine de la substantialisation que je vous soumettrai dans quelques jours. » (Voir Dossier, p. 155).

L’ensemble de la revue peut se ramener à trois idées-force : le surrationalisme comme doctrine unique de « la superstructure intellectuelle de l’époque » ; la poésie comme fonction de dépassement des contradictions ; l’actualité comme moyen de poser, agressivement au besoin, les véritables problèmes et les hypothèses les plus neuves.

À partir du rêve expérimental de Tzara, Bachelard imagine une raison expérimentale se divisant par dialectique interne sur elle-même, puis par dialectique externe sur l’objet, l’interférence des deux déterminant « des surempirismes d’une étrange mobilité, d’une étrange force novatrice, De la première construction relèvent la pensée mathématique de Lobatchewsky et la philosophie de Hegel. Dans la seconde, la raison doit être mise en jeu, « l’imprudence est une méthode ». Enfin le pluralisme rationnel touche à des domaines si différents métaphysiquement qu’on ne peut espérer lui donner la cohérence par de simples synthèses des contraires » de sorte qu’au rationalisme fermé de la répétition, du déjà connu, succède « le rationalisme ouvert » (p. 6).

Cette aventure nouvelle offerte à l’esprit contemporain, la communication de Jacques Spitz vient la corroborer par référence à la constante de Plank, aux thèses de Niels Bohr sur la matière. L’indéterminisme quantique replace le physicien dans le monde qu’il observe. De la même façon, la théorie de la connaissance doit aboutir à l’impossibilité « d’analyser un concept et de simultanément l’employer » : le phénomène de l’introspection en est un exemple. II résume ensuite le débat soulevé par Caillois :

« avec la théorie quantique, on se trouve en présence d’une certaine marge d’indétermination dans l’enchaînement causal. Deux attitudes sont alors possibles : ou bien l’on dit, avec Caillois, que derrière cette indétermination se trouve un déterminisme que l’on ne peut pas constater ; et il n’y a rien de changé dans la situation philosophique ancienne. Ou bien l’on dit : tâchons d’interpréter cette indétermination, cette lacune qui nous est laissée, d’une façon qui améliore la situation philosophique. Dans l’un et l’autre cas, il ne s’agit que d’hypothèses. La seconde est celle que j’adopte, parce qu’elle ouvre les perspectives les plus vastes. » (p. 71).

Postulant « une orthodoxie militante », Roger Caillois définit les tâches immédiates de la pensée moderne » avec le même enthousiasme que Bachelard, en partant d’un constat de faillite généralisé. « Les formes avancées de la littérature et de l’art qui s’étaient données pour tâche la libération de l’esprit », tel le surréalisme, aboutissent à l’esthétisme, à un pur rituel. La philosophie conduit à l’éparpillement et à l’absence de théorie. La science même remet en cause ses propres principes. Mais une telle critique, par le fait qu’elle s’exprime, laisse entrevoir une direction nouvelle, des éléments de réforme. L’espoir se fait jour il sera possible, par la vigueur des décisions, par la sévérité des réalisations, d’explorer les nappes d’ombre des réactions affectives et les démarches de l’imaginaire. Par la généralisation, telle que la propose Bachelard dans son Nouvel Esprit Scientifique (1934), la géométrie de Riemann englobe et dépasse celle d’Euclide. De la même façon « Sur tous les points en conflit, le litige s’est soldé par la capitulation du rationnel devant les exigences de la systématisation » (p. 10), Ainsi peut-on concevoir une orthodoxie militante comme « réforme intellectuelle généralisable à tous les domaines de l’activité humaine » (p. 12). Si Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont conservent une valeur d’exemple, il ne suffit pas de les imiter, il faut passer à l’offensive, fonder un ordre nouveau. L’orthodoxie est alors une entreprise unitaire idéale, concernant « la totalité de l’être » (p. 13).

On le voit, quel que soit le concept invoqué, surrationalisme chez Bachelard, physique quantique et théorie de la connaissance chez Spitz, orthodoxie militante chez Caillois, l’ambition est toujours la même ; fonder une nouvelle appréhension de l’univers englobant tous les phénomènes, rationnels ou non, à partir d’une morale exigeante et joyeuse. En arrière-plan se dessine une commune critique de la poésie qui doit tout à l’expérience de Tzara.

Celui-ci s’en est longuement expliqué dans sa communication du 18 février, dont Inquisitions ne publie que la première partie (voir le complément dans le Dossier, p. 136 sq.). Le texte lu aux membres du Groupe d’Études pour la Phénoménologie Humaine était plus vif que ce qui est imprimé à l’égard du surréalisme – accusé de confusion au sujet de l’automatisme, du rêve, du hasard objectif et surtout considéré comme dualisme —

À partir des prémisses posées par l’« Essai sur la situation de la poésie », s’explicite l’activité de l’esprit dont on sait que, pour Tzara, rien ne la distingue, extérieurement, de la vie quotidienne. La poésie moyen d’expression (correspondant au penser-dirigé) et la poésie-activité de l’esprit (résultant du penser non-dirigé), sont les discriminants qui permettent de retracer l’histoire de l’activité humaine, et particulièrement de la littérature considérée comme fonction, cette superstructure n’étant pas en dépendance directe de la structure sociale. Ici Tzara met son auditoire en garde contre les « marxistes pressés » qui assimilent abusivement l’évolution de la superstructure aux déterminations indirectes auxquelles elle est soumise. II examine alors quelques points de rupture caractéristiques : le Romantisme, la Pléïade. Ce qui définit l’attitude du poète, c’est la « lycanthropie », la révolte inhérente à toute expression, authentique, « un mouvement affectif violent qui tend à prendre la forme sociale de clan ou de culte, il est lié à la représentation d’un monde différent du monde ambiant ou à une réalisation des désirs projetés sur un avenir hypothétique ». Deux comportements sont alors possibles : l’isolement, la fuite hors de la famille et du groupe social, ou bien la révolte et la constitution d’un clan tendant à briser le cercle de la société bourgeoise. Les exemples abondent des Bousingos aux poètes maudits, à Dada et au surréalisme. Tzara leur trouve des ancêtres aux Moyen Âge avec les Goliards et les Coquillards, et même dans les sociétés primitives comme en Polynésie. En somme, l’activité artistique, par le processus de symbolisation, caractéristique du primitif, de l’enfant, du fou, suit à son rythme propre l’évolution de la pensée et des conditions sociales d’existence. Les ruptures évoquées plus haut ne sont que des transformations qualitatives. L’actualité laisse présager une part plus grande du penser non-dirigé, donc de la poésie. Et de conclure : « Plus importante que la détermination de la poésie est la détermination du poète en tant que phénomène social ».

C’est précisément le sujet que traite Jules-M. Monnerot dans son article « Remarques sur le rapport de la poésie comme genre à la poésie comme fonction. » Le futur essayiste de La Poésie moderne et le sacré, fortement influencé par les analyses de Tzara, part de Dada et du surréalisme, montrant le détour paradoxal par lequel sont passés ces deux mouvements, la plus grande obscurité étant nécessaire pour atteindre la plus grande clarté. Mais le risque de tromperie et de mystification est grand. Introduisant la vitesse de la pensée, comme le cinéma celle des images, le surréalisme photographie l’esprit humain mais, faute de rigueur, il n’est qu’une technique. Or la poésie est avant tout expression de l’affectivité, un stupéfiant qui n’a que faire des genres dans lesquels on la catalogue. « Le besoin de poésie existe à l’état brut chez tous les hommes » (p. 18). La poésie comme genre n’y satisfaisant pas, l’individu a recours à d’autres formes de substitution telles le cinéma, la mode, la publicité, le roman policier. On reconnaît là des idées maintes fois exprimées par Tzara. Monnerot poursuit :

« La famine poétique est dans le peuple. Il semble qu’à considérer les choses quantitativement et fonctionnellement, la poésie échappe au poète. » De fait, « la poésie n’est pas morte, mais le poète est malade. » Et l’auteur d’en appeler à un sursaut collectif, afin que de jeunes hommes objectivent le besoin affectif de tous, même s’ils déclinent le titre d’auteur ou de poète. « Il ne faut pas que le courage nous manque » conclut-il.

Quelles que soient les critiques qu’ils lui adressent, la poésie demeure une fonction vitale pour Tzara et ses amis. C’est, semble-t-il, la raison de la publication d’un fragment du Roman cassé de Crevel, en dépit du genre affiché. Tzara en avait recueilli le manuscrit à la mort de son ami. Il s’agit d’une sorte de monologue, totalement décousu, où défilent ironiquement tous les lieux communs de la bourgeoisie, ses vertus d’ordre, d’économie, de simplicité, ses préjugés racistes et xénophobes, son âpreté au gain, son sens aigu du secret, sa bêtise revancharde, etc. Tout y passe, particulièrement dans l’épisode publié où se mêlent la visite du Tzar, la rencontre de Pierre Loti fardé comme un pierrot, le ruban de la Légion d’Honneur et l’emprunt russe de J906. La verve iconoclaste de Crevel est bien l’expression d’un besoin collectif de mise en cause de la banalité quotidienne, une forme de la poésie. Pour ce qui concerne l’actualité la plus immédiate, le groupe écoute une communication d’Étiemble sur le Mouvement de la « Nouvelle vie » en Chine, décrit à travers sa réception en France, où il est démontré que les quatre vertus mythiques prônées par Tchang Kai Chek sont une adaptation du fascisme. La discussion de l’exposé, inédite, montre qu’aussi bien Sadoul que Monnerot minimisaient les mots d’ordre du futur chef de la Chine nationaliste et appréciaient mal leur portée dans le contexte chinois (voir Dossier p. 120-121).

Le débat du moment est incontestablement le problème des rapports entre psychanalyse et marxisme. Jean Audard lente à nouveau de les rapprocher, à l’ultime séance du groupe, après l’avoir fait dans Les Cahiers du Sud (septembre 1933) et dans Documents 1935, en dépit de la comminatoire mise en garde de G. Politzer dans Commune (novembre 1933). Non seulement une conciliation serait possible, puisque les principes psychanalytiques de refoulement, sublimation, etc. relèvent du monde matériel, de l’être social, mais encore la psychanalyse peut compléter le matérialisme historique en lui fournissant la psychologie concrète qui lui fait défaut, pour l’étude des illusions collectives de la bourgeoisie ou encore des mécanismes de l’invention. Si Étiemble et Tzara nuancent l’exposé en ce qu’il a de trop systématique, on ne s’étonnera pas de voir Sadoul en prendre le contre-pied, dénonçant la famille bourgeoise à laquelle se réfère Freud, ainsi que son roman mythique qu’est Totem et tabou, auquel s’opposent les observations de Malinowski. Du moins peut-on constater que la controverse sur les rapports de ces deux systèmes de pensée n’a pas été esquivée L’actualité, ce n’est pas seulement le débat d’idées, mais aussi l’activité éditoriale, les spectacles. On rend compte des films, d’une conférence de Dali au Vieux Colombier. L’Anthologie des poètes de la NRF est rigoureusement pesée par Tzara ; André Chastel montre les poètes anglais (Herbert Read, Stephen Spender, C. Day Lewis) pris entre leurs aspirations révolutionnaires et leur dit poétique. Alain Girard rend compte du Rimbaud d’Étiemble et Yassu Gauclère, qui, déjà, combattait les mythes. Raymond Charmet reproche à La Sociologie allemande de Raymond Aron son approche trop philosophique, non sans en souligner les mérites. Les notules mordantes de Caillois ménagent une place honnête au Nietzsche de Thierry Maulnier et à l’éthique salubre du Service inutile de Montherlant. Une longue note de A. Steplianopoli fait l’éloge de /Ironie de Jankelevitch, auquel on reproche cependant de ne pas donner une véritable phénoménologie husserlienne. Enfin Claude Cahen critique un ouvrage marxiste sur lequel je reviendrai. La personnalité et même le sexe de cet auteur posent problème. Lisant sa signature Cahun, avec un « u » à la place du < e *, certains y reconnaissent le pseudonyme de Lucie Schwob (1894-1954), une surréaliste membre de TA.E.A.R., qui avait publié un ouvrage fort critique à l’égard des vues poétiques d’Aragon : Les Paris sont ouverts (José Corti, 1934). D’autres, sur le moment, s’en tenant à la lettre, comme Étiemble et Aragon, en font un homme. Aujourd’hui (par une lettre du 17 février 1990), Étiemble me confirme qu’il s’agit d’un Normalien, de la promotion 1928. Tout ceci est de fort bonne tenue, et on ne peut s’expliquer l’arrêt de la publication, les éditeurs sachant bien qu’on ne décide pas du sort d’une petite revue d’après les ventes de la première livraison. Dans l’état présent de nos informations, deux causes viennent à l’esprit : une discorde interne, le retrait des bailleurs de fonds. L’examen des textes écartés du premier numéro (notes d’Alain Girard, Roger Caillois, Tzara, Monnerot) et de la correspondance les accompagnant (voir Dossier, p. 151), montre qu’il n’y avait là aucun motif de conflit. La seule querelle est venue à propos d’un film soviétique, Tchapaïcv. Marcel Arland en avait rendu compte dans la NRF d’avril en des termes qui choquèrent Étienne Léro (l’un des Antillais de Légitime défense). Celui-ci éprouva le besoin de retoucher l’analyse. Mais, de son côté, Étiemble apportait une note approuvant entièrement Arland. Devant ces deux articles contradictoires, la rédaction essaya la conciliation : publier le texte de Léro et la première partie de celui de Étiemble, traitant du Faiseur monté par Dullin à l’Atelier. Le tempérament bouillant d’Étiemble est connu : il refusa tout net, accusant la revue d’inquisition, au singulier. Le résultat est qu’aucun des textes incriminés ne parut (voir Dossier, p. 126-127 et 148-149) Pour fâcheuse qu’elle soit, une telle tension ne me semble pas de nature à justifier l’éclatement du groupe ni la fin de la revue. Un second phénomène me paraît plus grave. Dans son article de présentation, intitulé « Entre nous », Aragon indique les raisons de sa présence dans ce groupe dont il souligne l’éclectisme, entendant forger l’unité de la revue par le mouvement. Mais cet éclectisme n’est pas sans risque de confusion. Aussi prend-il à partie Claude Cahen, dont la « note sur le matérialisme dialectique » lui paraît critiquer le recueil collectif À la lumière du marxisme d’une manière par trop convergente avec celle des intellectuels, de tendance socialiste, de Vigilance, l’organe du Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes. Dans les commentaires accompagnant son Œuvre poétique (t. Vil), il avoue n’avoir conservé aucun souvenir de cette revue. Republiant sa contribution, il indique : « l‘intérêt réside essentiellement dans l’idée critique que je pouvais avoir alors des groupements nés du triomphe du Front populaire […] mais il suffit de lire ces quelques pages d’inquisitions pour se faire une idée du caractère assez peu idyllique des rapports entre les hommes qui se réclamaient d’une victoire électorale récente. Et de la nature des questions entre intellectuels dont la destinée par la suite n’a pas toujours été la même… »**. Le fait que ces divergences de vues s’expriment dans le même numéro de la même revue m’incline à penser qu’il n’y avait pas là motif suffisant pour mettre fin à la publication. Au contraire, on pouvait en tirer argument pour prouver la largeur de vues du comité de rédaction, sa capacité au débat démocratique. Mais telle n’était pas l’opinion d’Aragon11 ! A postériori, une autre cause a été avancée par Caillois : « La scission était inévitable, et elle ne tarda pas, entre les deux dirigeants membres du Parti communiste (Aragon et Tzara) et les deux autres qui, indépendamment de toute attitude politique, ne souhaitaient pas introduire les questions relevant de ce domaine dans un organe consacré, comme le soulignait son sous-titre, à l’étude de la “phénoménologie humaine” »12. Dans une lettre du 10 août 1937, il écrivait déjà à Jean Paulhan : « Je suis tout à fait de votre avis pour la politique : j’ai justement préféré, comme vous savez, faire cesser Inquisitions à l’y laisser entrer »13. Cependant, il n’était pas le seul à décider, et sa défection n’aurait pas entravé la poursuite de la revue si la publication n’en avait été compromise pour d’autres raisons. En d’autres termes, ce serait une question d’orientation générale de la revue qui aurait décidé de sa fin, comme du groupe qui la nourrissait. Au demeurant, celui-ci ne s’était plus réuni depuis mars 1936 ; chacun de ses membres étant requis par la campagne électorale ou la préparation des examens, comme Caillois, qui obtiendra l’agrégation de grammaire la même année. De sorte que la première revue littéraire née du Front populaire, et dans son esprit, me paraît en avoir été la première victime. Il y avait trop de sollicitations immédiates, de toutes parts, pour songer à poursuivre une telle expérience™14. La diversité d’opinion manifestée par les membres du groupe, leur indépendance à l’égard du Parti communiste, les fluctuations de sa politique à l’égard des intellectuels, leur propre engagement dans la guerre d’Espagne, me semblent expliquer (sinon justifier) la fin de la revue, sans doute au nom de considérations économiques. En effet, son éditeur, les Éditions Sociales Internationales, finançaient Commune et, indirectement, Europe dont Aragon venait de se porter acquéreur pour 20 000 francs. Succédant à Jean Guéhenno, Jean Cassou, membre du Cabinet du Ministre de l’Éducation Nationale Jean Zay, un radical-socialiste, en était le rédacteur en chef, à la tête d’un comité de douze écrivains. Dans ces conditions, était-il nécessaire de laisser subsister à tout prix une revue de laboratoire quand d’autres, mieux établies, pouvaient développer les mêmes propos, en direction d’un public plus nombreux et plus populaire ? Quelles que soient les causes réelles de sa disparition, il reste qu’Inquisitions donnait l’exemple d’une revue de débat et de combat, nécessaire en cette période comme en témoignent les comptes rendus immédiats (voir Dossier p. 163), rassemblant des jeunes préoccupés de liberté et de justice sociale. Reprenant certains thèmes défendus par le Front populaire, ils entendaient aller de l’avant. Leur échec est aussi celui du vaste mouvement qui les avait portés à se rencontrer en voulant concilier les recherches surréalistes avec l’idéologie marxiste telle que les partis de l’époque l’interprétaient.


1. André Breton : « Au temps que les Surréalistes avaient raison  in Tracts surréalistes et déclarations collectives 1922-1939, présentation et commentaires de José Pierre, Paris, Le Terrain Vague, 1980, p. 274.

2. André Breton : ibid., p. 281.

3. Voir Robert Stuart Short : « contre-attaque , in, Entretiens sur le surréalisme sous la direction de F. Alquié, Paris, Mouton, 1968, p. 144-176  José Pierre : Tracts surréalistes, op. cit., p. 281-301  Henri Dubief : Témoignage sur Contre-Attaque (1935-1936) in, Textures n° 6, 1970.

4. Voir : Denis Hollier : Le Collège de sociologie (1937-1939), textes de Bataille, Caillois, Guastalla, Klossowski, Kojève, Leiris, Lewitzky, Mayer, Paulhan, Wahl, etc. Paris, Idées/ Gallimard, 1979, 399 p.

5. Cf. Tristan Tzara, infra, p. (65].

6. Cet article, reproduit dans Inquisitions, p. 6-14, constitue la conclusion de : Roger Caillois : Le Mythe et l’homme, Gallimard, Les Essais VI, 1938, « our une activité unitaire de l’esprit , p. 209-222.

7. Roger Caillois : Approches de l’imaginaire, Gallimard, 1974. Il y raconte son différend avec Breton à propos des haricots sauteurs mexicains. le premier voulant les disséquer pour trouver ce qui les mouvait, le second souhaitant que l’on propose des solutions explicatives avant de procéder à cette dissection.

8. Tristan Tzara : Œuvres complètes, Paris, Flammarion, t. V, 1982, p. 258-259.

9. Roger Caillois note ceci : « e Mythe de l’hommes’ouvre sur un article « our une orthodoxie militante  que j’avais d’abord publié dans le premier et d’ailleurs unique numéro de la revue Inquisitions. « rthodoxie Inquisitions , (même au pluriel) n’étaient pas termes choisis au hasard et j’avais eu du mal à faire accepter le second comme titre de la publication à ses trois autres directeurs. Approches de l’imaginaire, Gallimard, 1974, p. 57.

10. Roger Caillois : Approches de l’imaginaire, p. 57.

11.Voir : Aragon : L’Œuvre poétique, l. VII, 1936-1937, Livre Club Diderot, 1977, p. 169.

12. Roger Caillois : Approches de l’imaginaire, op. cit., p. 58.

13. Cahiers Paulhan, t. 6, correspondance Jean Paulhan – Roger Caillois, 1934-1967. Éd. établie et annotée par Odile Felgine et Claude-Pierre Pércz, Gallimard (à paraître en 1991).

14. Cependant celle-ci s’est continuée, sous une forme à peine modifiée mais avec d’autres participants, au Collège de Sociologie.

« Une amitié stellaire : Arp et Tzara en leur atelier », dans Arp en ses ateliers d’art et d’écriture, actes du colloque de Strasbourg, publiés par Aimée Bleikasten, Musées de Strasbourg, 2011, p. 218-232.

4e de couv.

Si les reliefs, collages et sculptures de Hans Arp occupent une place incontestée dans l’histoire des avant-gardes, on néglige parfois le lien indissociable que l’artiste a tissé toute sa vie entre son œuvre littéraire et son œuvre plastique.
L’ouvrage aborde ainsi ces deux aspects, s’attachant à révéler des similitudes dans les processus de création. Il met également l’accent sur ses collaborations avec Sophie Taeuber-Arp mais aussi Tristan Tzara, Hugo Ball, Theo Van Doesburg, Sonia Delaunay… Le catalogue propose en outre diverses approches transversales, tout comme des témoignages d’artistes contemporains sur leur filiation avec l’œuvre arpienne.
Sous la direction d’Aimée Bleikasten et de Maryse StaiberAssociation Jean Hans Arp

Rcension sur Cairn :

https://www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2011-3-page-785.htm :

« C’est une très belle réussite que ce volume qui conjugue les fruits d’une exposition au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg et les résultats du Colloque tenu à l’Université « réunifiée » de la capitale alsacienne en 2009. Le long travail de recherche sur Arp qu’elle a conduit sur le sculpteur-poète, enfin reconnu dans sa ville (comme elle se plaît à le souligner dans son Avant-propos), a fait d’Aimée Bleikasten la spécialiste d’un artiste au talent multiforme et original devenu l’une des figures exemplaires de la modernité, des deux côtés du Rhin, dans les deux langues, mais aussi outre-Atlantique. Elle prolonge ici son apport à la connaissance d’Arp, qu’elle a par ailleurs traduit, en regroupant, autour de ses projets (tous les spécialistes ont en mémoire les journées de 1986 sur « Arp, poète, plasticien »), des conservateurs de musée, des historiens d’art et esthéticiens, des germanistes poéticiens, des philosophes… Elle fait se croiser ainsi une multitude d’éclairages sur une œuvre qui demeure actuelle dans son appréhension verbale et plastique du monde moderne.

Les contributions (23 en tout) sont regroupées en 5 sections. Si la première (« Arp en son pays ») s’acquitte de la révérence (justifiée !) due au genius loci, les autres, conformément à ce qu’annonce excellemment le titre retenu, pénètre profondément dans l’œuvre, sa genèse (qui rejoint la question du « fond originel » – Urgrund –, que l’on retrouve aussi dans Schopenhauer à propos de la musique comme il est déjà présent chez les présocratiques), sa « fabrique », pour reprendre cette fois le terme utilisé par un autre moderne capital, Carl Einstein. Voyez les deux grandes notions autour desquelles le livre se structure : celles de « travail » (« travail d’écriture », « travail en commun ») et d’« atelier » (« fables d’atelier », « ateliers d’art »). La vision et la recréation sont revendiquées comme labeurs impliquant le concret, ce matériau dont l’utilisation, sensuelle et plastique, fait penser aussi à ce qu’expérimente de son côté Max Ernst, en Ardèche, en Touraine ou aux États-Unis. Contrairement à ce que l’art contemporain nous offre parfois à voir, les œuvres d’Arp ne culminent ni dans l’entassement ou les déchets, ni dans l’assemblage d’objets tout faits opposés, depuis Duchamp, à l’élaboration formelle qui ouvre à des sens nouveaux. À cet égard, l’étude de Bäbel Reetz (« Dada n’était pas une farce », p. 233-247) circonscrit bien l’essence de ce qui fut tenté et que l’on peut aussi essayer d’intégrer à une « cosmologie ». Le livre lui-même vise à la réalisation de la forme : les deux articles sur lesquels il se clôt reviennent, en complément à l’ouverture, sur « les décors de l’Aubette à Strasbourg » et « les ateliers et chantiers strasbourgeois » conçus et exécutés sous l’égide commune d’Arp et de Sophie Taeuber. In fine, une courte bibliographie des écrits arpiens (p. 290-291) donne la liste des publications et traductions en langue française. En somme, un ouvrage qui s’insère pleinement dans une des voies majeures, actuelles et futures, de la germanistique française : l’alliance de la littérature et des arts.

— J.-M. VALENTIN

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Tzara et Arp, dans sa villa de Meudon


« Arp surréaliste ou le ruban du Père Castel »,  Mélusine, n° 9, 1987, pp. 99-112.

Argument :

Une constellations d’études et de témoignages pour le centenaire de la naissance de l’artiste qui a écrit : « Jamais on ne fera trop de musique, trop de poésie, trop de peinture et de sculpture. Jamais on ne rêve trop. L’âme de la musique et celle de la poésie, de la peinture et de la sculpture se confondent, confluent comme les rêves. »

Table des matières :

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Lire ARP :

« À côté de son œuvre plastique universellement célèbre, l’œuvre poétique de Jean Arp (1887-1966) est considérable à tous égards, aussi bien, d’ailleurs, en allemand qu’en français, puisque Arp, né alsacien, a pratiqué avec une égale maîtrise les deux langues. Épars dans des revues, des catalogues, des publications devenues rares, tous les écrits en langue française de Jean Arp sont ici réunis, ainsi que les traductions qui ont été publiées de certains de ses poèmes et textes allemands. Rassemblés chronologiquement, poèmes, contes, préfaces, manifestes, souvenirs, interviews et de nombreux inédits, ces pièces d’un humour très personnel, d’une subtile naïveté, d’une passion contenue, sont souvent des documents d’histoire et éclairent sur près d’un demi-siècle la vie de l’artiste, les travaux de ses amis et certains aspects des mouvements – dadaïsme, surréalisme… – auxquels il a participé. »

« L’âge ingrat », Mélusine n° 8, 1986, pp. 9-15 (avec P. Mourier).

Argument :

Nous continuons, dans le présent recueil, à nous servir des deux clés pour le surréalisme que sont les notions conjointes d’âge d’or et d’âge d’homme. Cependant la serrure s’est déplacée entre temps. L’accent se porte cette fois, non plus sur la dimension mythique et utopique du surréalisme, dans sa double dynamique régrédiente et projective, mais sur la dimension éthique et politique.

Le titre « L’Âge ingrat » donné à cette introduction au volume de Mélusine intervenant après le recueil sous-titré « L’Age d’Or l’Age d’Homme » n’apparaît que dans la table des matières. C’est dire combien les responsables de cette livraison hésitaient à qualifier l’une des périodes constitutives du mouvement comme de chacun de ses membres ! Précisons que le roman du même titre de José Cabanis (Gallimard, 1990) n’était pas encore annoncé.

Commentant notre introduction, le surréaliste José Pierre(1927-1999) émit alors toutes les réserves que nous-mêmes portions envers ce titre, qui avait cependant le mérite de cerner les points critiques du Mouvement surréaliste.

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